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[Reprise] Les étiquettes des viandes changent : un nivellement par le bas
Le 16 déc. 2014
Pour changer un peu :)
Éloquente quand même cette histoire qui semble anecdotique… Encore du progrès, de la modernité et de la
“simplification”
Par Pierre Hinard
Éleveur et ingénieur agronome
Simplification ou marketing ? Ce samedi, l’étiquetage des viandes dans les rayons de supermarchés évolue. Les
morceaux ne seront plus détaillés mais regroupés sous une dénomination générique, comme steak ou rôti par exemple.
Est-ce une bonne chose ? Quelles sont les conséquences d’une telle décision ? L’éclairage de Pierre Hinard agronome,
auteur d’”Omerta sur la viande”.
À partir du 13 décembre, les étiquettes du rayon viande en libre service (boeuf, veau et agneau) changent.
“Afin de mieux informer le consommateur, il sera permis de regrouper certains morceaux de viande sous une même
dénomination générique” à la place du nom précis, par exemple : poire, merlan, araignée, aiguillette deviennent tous des steaks.
Donc pour mieux informer le consommateur, on supprime des informations et on ajoute un flou artistique sur les étiquettes.
La simplification n’est qu’un prétexte
L’argument de la simplification pour le consommateur n’est qu’un prétexte. Le législateur pouvait faire le choix de maintenir le
nom exact des morceaux (poire, aiguillette…) mais indiquer en plus sa catégorie (steak, rôti…) et le mode de cuisson (à griller, à
cuisiner…).
Ce nouvel étiquetage a été obtenu suite à un lobbying très efficace des industriels de la viande auprès des services publics de la
consommation (DGCCRF). Un seul objectif : vendre à tout prix ! C’est certainement une des raisons pour laquelle ils qualifient la
réforme “d’historique”.
Que veulent nous faire croire les pros du marketing en notant les morceaux de 1 à 3 étoiles, comme les hôtels ? Que le nombre
d’étoiles est un bon indice de qualité. On pourra alors penser qu’un “steak ***” issu d’un élevage industriel hors-sol (le mode de
production, ce n’est jamais indiqué) est “de meilleure qualité” qu’un “steak *” provenant d’un élevage extensif d’animaux nourris
à l’herbe.
Les premiers critères de qualité sont le mode de production et le régime alimentaire des animaux. Or, on veut nous laisser
penser que seuls la catégorie et la tendreté du morceau comptent.
La même problématique que pour le vin
Cette réforme s’oppose à la transparence revendiquée de plus en plus par le consommateur, car elle amène de l’imprécision sur
le morceau vendu, ce qui arrange bien l’industriel. Steaks, rôtis, escalopes… On uniformise l’offre ce qui garantit au supermarché
de ne jamais manquer une vente : il peut mettre dans la même catégorie des pièces très différentes.
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C’est un des effets négatifs de l’industrialisation des productions.
La même problématique existe pour un autre produit noble : le vin. Les lobbies de l’agroalimentaire voudraient mondialement
imposer que le cépage du vin remplace la référence au terroir, c’est mieux pour les affaires. On va aller vers une massification
des productions pour disposer de grandes quantités au lieu d’une vraie qualité, et ainsi répondre aux exigences de la grande
distribution.
Et la transparence ?
Cette volonté omniprésente de tout standardiser est un comble dans le pays de la gastronomie, où les émissions culinaires n’ont
jamais attiré autant d’amateurs. C’est manifestement un nivellement par le bas. Nos dirigeants disent vouloir défendre
“l’exception culturelle française” alors qu’ils font chaque jour une autoroute un peu plus large à la grande distribution et aux
fast-foods.
Si les industriels de la viande ont un tel désir de réforme, une telle soif d’apporter plus de lisibilité au consommateur, qu’ils
mettent donc la même énergie à obtenir l’étiquetage obligatoire du mode d’élevage : plein air ou bâtiments industriels ?
Et la transparence sur l’alimentation donnée aux animaux que nous consommons ? C’est pour quand l’étiquetage obligatoire
“nourri aux OGM”? Voilà des informations utiles qui permettraient au consommateur de faire un choix éclairé lors de ses achats
de viande.
Il découvrirait que non, les vaches ne sont plus engraissées à l’herbe des prairies ! Pourtant elles le devraient.
Source : Le Nouvel Obs
Christian Le Lann : «Adieu poire, merlan, collier, araignée, échine, plat de
côtes…»
Christian LE LANN Président de la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie et traiteurs – 8 décembre 2014 à
19:46
Les dénominations des morceaux de viandes bovine et ovine, dans les grandes surfaces, vont être remplacées par un classement
à base d’étoiles et des termes génériques («à mijoter», «steak», etc.) Ce système, qui prétend simplifier l’étiquetage et menace de
s’étendre, fait disparaître un pan entier de notre culture.
La France est une exception. Une exception culturelle. S’il existe encore un cinéma français bien vivant par exemple, c’est parce
que des décisions politiques ont été prises pour protéger la création. A l’heure où la tradition gastronomique française se voit
inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, elle n’a jamais été aussi menacée. Je n’utilise pas ce mot simplement
pour attirer votre attention. Ce qui se prépare est très grave : un arrêté à valeur réglementaire va porter une atteinte
irrémédiable à la culture française. Dès le 13 décembre, un nouvel étiquetage va faire son apparition sur les morceaux de viandes
bovine et ovine préemballés et vendus en libre-service dans les grandes et moyennes surfaces. Poire, merlan, collier, araignée,
échine, ou encore plat de côtes : des mots qui font la France et ses terroirs, des mots vivants qui sont les piliers de notre culture,
jugés incompréhensibles et désuets, seront remplacés par des termes génériques et des étoiles. Ce monde de demain, dans
lequel le consommateur dirigera des choix essentiels à son existence à l’aide de pictogrammes, est le produit d’une tendance
générale à l’opacité, à la désinformation et à l’appauvrissement de la pensée. Ceux qui, oubliant qu’elle est un atout majeur pour
notre avenir, voudraient mettre notre tradition gastronomique au musée, nous porteraient un lourd préjudice.
La France ne peut rester un modèle en Europe et dans le monde si elle cesse d’être courageuse. En livrant notre pays pieds et
poings liés aux industriels et à la grande distribution, comme il l’a déjà fait en 2008 avec la loi de modernisation de l’économie
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(LME) (1), le gouvernement donne sa bénédiction à un modèle économique qui lamine notre agriculture, piétine les artisans et
écorche la noblesse de nos métiers. Cette LME, la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie et traiteurs
(CFBCT) ne cesse de la dénoncer. Quand l’Etat encourage l’uniformisation des denrées, des plats et des goûts, la CFBCT se bat
pour rappeler la dimension culturelle de nos arts culinaires et pour sensibiliser les Français à la diversité et aux enjeux liés à la
transmission de ces traditions. Quand l’Etat demeure immobile face à la disparition des commerces de bouche de nos villes et
villages, la CFBCT rappelle que la préservation de cette culture française dont nous sommes si fiers et que le monde nous envie
passe par une exigence vis-à-vis de ce que nous consommons. Dans un esprit de responsabilité, la CFBCT pointe régulièrement
les conséquences désastreuses de nos contradictions : nous nous targuons d’être le pays de la gastronomie et pourtant nous
mangeons de la viande de basse qualité. Nous voulons rassurer le consommateur : pour le moment, les boucheries artisanales
ne sont heureusement pas concernées par l’arrêté du 10 juillet 2014.
Nous voulons aussi rappeler tout ce pour quoi nous existons : pour la diversité des produits et l’amélioration de l’information sur
leur origine, pour tout un savoir-faire et un patrimoine. La viande va enfin parler la langue du consommateur, dit le slogan. Sans
s’attarder sur le caractère paradoxal d’une formule extrêmement confuse promettant plus de clarté (la viande parle ?),
demandons-nous tout de suite de qui on se moque. Du consommateur, comme d’habitude.
Les supermarchés, à grand renfort de marketing et de publicité, ont réussi à imposer les produits de l’industrie agroalimentaire
et les repas «prêts à manger». Pourquoi ? Pour répondre à de nouveaux besoins liés aux changements de modes de vie des
Français. Ces mêmes supermarchés disent aujourd’hui voler au secours de consommateurs privés du capital culturel qui leur
permettrait de bien acheter et de bien manger. En réalité, l’intention et le mécanisme sont clairs : invoquer un changement dans
le mode de vie pour créer de nouveaux comportements. Ne nous méprenons pas : cette politique de l’offre ne nous conduit pas
vers une diversification des choix mais vers une réduction et une standardisation des modes de consommation.
«Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde», jugeait Camus. Effectivement, ce qui va se perdre, ce ne sont pas
simplement des mots. Ce sont les goûts qui sont associés à ces mots. C’est le moment de se poser une question simple et
concrète : faut-il diriger les comportements selon des schémas pauvres et abêtissants ou faut-il continuer d’enrichir le
vocabulaire du consommateur et le guider à l’aide d’indications linguistiquement riches ?
Fondamentalement, en termes de culture nationale, à qui rendons-nous service ? Soyons précis. Celles et ceux qui ignorent ce
qu’est la poire ou le jumeau seront-ils enrichis ou appauvris par cette mesure ? Il y a un art français de la conversation à table,
auquel la CFBCT, comme de nombreux Français, est attachée. «Venez à la maison ce soir, il y a un pot-au-feu deux étoiles.»
Honteux. Mercredi, jour du steak haché une étoile. Scandaleux. A la formule que mettait en exergue Brillat-Savarin dans sa
Physiologie du goût, «Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es», que répondront demain les mangeurs d’étoiles ? Rien.
Nous perdons notre identité quand il n’y a plus les mots pour la dire.
(1) L’un des volets de la loi est une réforme majeure de l’urbanisme commercial aux termes de laquelle les créations de grandes
surfaces commerciales (ou réaménagements de surfaces) de moins de 1 000 m2 ne seront plus soumises à autorisation préalable
d’exploitation commerciale.
Source : Libération
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